LE CONTE PHILOSOPHIQUE : CANDIDE,
VOLTAIRE.
Le genre du
conte philosophique date du 18e siècle. Il s'agit d'un récit fictif court et
plaisant qui emprunte des traits aux contes et romans traditionnels, en y
joignant les problématiques sérieuses de la philosophie.
Cette alliance en apparence contre
nature en fit une arme efficace dans l'engagement de Voltaire contre les
injustices.
1 : Présentation et
principales caractéristiques.
Les contes de Voltaire sont composés
de courts chapitres comme dans le conte traditionnel, autour d'une intrigue
fantaisiste. Candide évoque de nombreux événement d'actualité ( séisme de
Lisbonne par exemple ) et quelques personnages réels ( princes rencontrés à
Venise ) mais sans respecter la chronologie. En outre, L'Eldorado n'existe pas,
les moutons rouges et les diamants relèvent du registre merveilleux.
On retrouve également la stylisation
des personnages. Ils ont une fonction par rapport au héros, mais sont sans
épaisseur psychologique réelle. Candide emprunte à diverses influences. Le
Roman picaresque, importé d'Espagne, raconte la vie mouvementée d'un aventurier
pauvre et débrouillard, le « picaro » qui connaît de nombreux revers
de fortune. La vie et la caractère de Cacambo, les péripéties traversées par
Candide, le cadre hispanique de plusieurs chapitres se rattachent à cette
veine. L'épisode de l'Eldorado évoque les romans utopiques inspirés de l'œuvre
de Thomas Moore ( 1516 ) : ce type d'ouvrages présente une société idéale,
située dans un lieu inaccessible. Enfin, Candide parodie les lieux communs des
romans d'amour en vogue.
2 : Un élément nouveau : Le
message philosophique.
Voltaire voulait expliquer le monde
et trouver une règle de vie prenant en compte tous les aspects de la
connaissance, y compris les découvertes scientifiques récentes. Or celles-ci
renouvelaient les termes du débat métaphysique qui porte sur la nature de Dieu
et de l'âme humaine.
Elles contredisent les conceptions
issues de la Bible, qui prévalaient jusque là.
Dans Candide, la réflexion porte sur
l'existence du mal et les conditions du bonheur. Les thèses optimistes et
pessimistes s'affrontent par l'intermédiaire du leibnizien ( philosophe qui
pense que tout doit se produire quoiqu'il se passe, que tout se produit par
Dieu ) Pangloss et du manichéen Martin. Le héros s'interroge également sur
l'Origine de la Terre.
3 : L'utilisation de
l'émotion et de l'ironie.
Les contes comportent l'avantage de
joindre à la force d'une argumentation philosophique la puissance de l'émotion
: le lecteur s'identifie aux personnages, dont les malheurs ou les sottises
provoquent chez lui la sympathie ou le rire. Il se trouve ainsi dans une
disposition d'esprit favorable pour condamner préjugés et injustices dont il
voit l'absurdité et la cruauté par des exemples concrets. Le conte
philosophique correspondait donc tout particulièrement au dessein vulgarisateur
et polémique de Voltaire, ainsi qu'à son humour multiforme.
4 : Récurrence (
répétition, retour ) de thèmes dans Candide.
Les récurrences et contrastes sont
nombreux : exploitation des Indiens du Paraguay par les colonisateurs ( 14 ),
qui annonce la déchéance de l'esclave de Surinam ( 19 ). Les préjugés
nobiliaires s'expriment en Westphalie ( 1 ), à Buenos Aires avec la morgue du
gouverneur ( 13 ), au Paraguay puis en Propontide lorsque le jeune baron refuse
le mariage de Candide avec Cunégonde ( 15 et 29 ). La propreté et le luxe de la
capitale d'Eldorado s'opposent à la fois à la pauvreté de Thunder-Ten-Tronckh (
1) et à la saleté de Paris ( 22 ).
Récurrence célèbre du Jardin,
symbole de bonheur paradisiaque, issu de la Bible. « Petit bois que l'on
appelait parc » ( 1 ), puis « cabinet de verdure » des jésuites
au Paraguay, plantation de sucre au Surinam, fondés sur l'exploitation des
esclaves ( 14 et 19 ). S'y ajoutent les villages cossus de l'utopique Eldorado
( 18 ), l'ennui oisif des artistiques jardins de Pococuranté ( 25 ), la
propriété du vieux Turc, qui vit des fruits de son jardin, puis la métairie (
30 ). Ce thème présente divers modèles de société, et fournit l'image
symbolique du bonheur final, fondé sur le travail agricole.
5 : Le problème du mal :
Satire de l'optimisme dans Candide.
Voltaire dans Candide dénonce les
illusions de l'Optimisme qui lui paraît à la fois ridicule et dangereux.
Pangloss persuadé que tout est mieux, justifie par des raisonnements
artificiels les réalités les plus douloureuses. Il fait ainsi l'éloge de la
vérole, fléau du 16e et 19e siècle. Il est d'autant plus fanatique que lui même
souffre, et ne survit qu'au prix de la perte d'un œil et d'une oreille.
L'ironie de Voltaire s'exerce à de multiples reprises sur Pangloss et Candide,
en contredisant leurs propos providentielles par l'absurdité d'une réalité injuste.
Il est vrai que Voltaire déforme les théories de Leibniz, pour lequel « le
Tout est Bien » et non « toutes les choses ».
6 : Position finale de
Voltaire.
Candide est balloté entre
l'optimisme forcené de Pangloss et le manichéisme de martin qui surgit après la
« noire mélancolie » de Candide au chapitre 19. Martin pense que
« Dieu a abandonne le monde à quelque être malfaisant » ( 20 ).
Pourtant Candide conserve l'espoir
de retrouver Cunégonde et sa foi en la présence du Bien. On retient donc : Le
refus du pessimisme, le refus des théories métaphysiques ( Candide dans le
dernier chapitre, refuse de participer au débat entre Pangloss et Martin, et
leur demande de se taire ), l'affirmation de quelques valeurs positives ( le
héros réussit à construire, dans la métairie, une société fondée sur la
tolérance, l'amitié et le travail ), la nécessité de l'apprentissage, l'amour
de la vie malgré l'absurdité du monde, la leçon de bonheur ( leçon de
relativisme, accepter sa modeste place dans le monde, ses imperfections, et se
contenter d'un bonheur incomplet et fragile ). Le bonheur n'est possible qu'à
la condition d'un certain renoncement aux ambitions, à la condition aussi de
l'aspiration à une félicité stable et solide. ( la métairie turque de Candide (
30 ) permet au héros de trouver un équilibre par le travail qui chasse l'ennui
et le vice, par l'instauration d'une petite société tolérante, où cohabitent
des religions différentes ).
Le style voltairien est adapté à
notre époque de par la force de l'ironie et par son esthétique moderne.
Brièveté, rire incisif, pouvoir vulgarisateur, thème de l'apprentissage
théâtralité de l'intrigue contribuent à l'actualité du style voltairien.